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Critique de film
Le film

Le Grand Bill

(Along Came Jones)

Analyse et critique

En cette année 1945, il fallut attendre mi-juillet pour voir débouler sur les écrans ce qui semblait devoir être un véritable "western de prestige" avec tous les ingrédients propres au genre (époque, lieux, costumes, décors, action). Mais ceux pour qui l’humour et la comédie ont toujours semblé ne pas faire bon ménage avec le western se sont probablement mordus les doigts de désappointement. Il y eut bien déjà précédemment l’excellent Femme ou Démon (Destry Rides Again) ou le désopilant Chercheurs d’or (Go West), ce dernier avec les Marx Brothers, mais, malgré le grand talent de Gary Cooper pour la comédie, on ne s’attendait pas à ce que ce dernier, pour sa première production, apparaisse dans la peau d’un "pied-tendre" couard et nullissime au tir au pistolet (il ne sait même pas dégainer correctement) ! Le premier scénario d’Alan Le May avait été celui des Tuniques écarlates (North West Mounted Police) de Cecil B. DeMille. C’est le scénariste qui, au vu des dons comiques de Gary Cooper en dehors de la pure comédie, lui écrira le divertissant Along Came Jones que voici, l’une des parodies de western les plus amusantes qui soit, une des rares incursions réussies de la comédie parodique légère dans le western. Cette belle réussite, on la doit autant à Nunnally Johnson, déjà auteur entre autres des scénarios de Jesse James de Henry King ou des Raisins de la colère de John Ford, qu'à l’efficacité du réalisateur Stuart Heisler qui venait tout juste de se faire remarquer avec son film noir La Clé de verre (The Glass Key) mettant en scène le couple Alan Ladd / Veronica Lake, ainsi qu’à l’interprétation d’ensemble. Car l’histoire en elle-même de ce Buffalo Bill, certes assez cocasse, ne vient en rien bouleverser l’histoire du western.

Paynesville, petite ville perdue au fin fond de l’Ouest américain et dans laquelle nos deux "héros", les palefreniers Melody Jones (Gary Cooper) et George Fury (William Demarest), viennent d’atterrir par erreur après s’être rendus compte qu'ils ont pris la mauvaise direction quelques 800 kilomètres en arrière ! Une forte récompense de 1.000 dollars est offerte pour la capture de Monte Jarrad (Dan Duryea) qui vient d’attaquer une diligence et de voler tout son contenu, dont la paie de l’armée. La selle de Melody portant ses initiales en grosses lettres bien visibles, les habitants prennent ce dernier pour l’inquiétant hors-la-loi. Melody et George se voient alors poursuivis par non moins que cinq groupes : le Posse initié par le shérif, une armada familiale souhaitant venger le meurtre par Monte d’un de leur clan, le détective de la compagnie de diligence qui vient d’être dévalisé, les militaires voulant récupérer leur salaire, et non moins que Monte Jarrad jaloux d’avoir appris que Melody a dormi dans la chambre - voire même dans le lit - de sa petite amie. Autant dire qu’ils sont loin d’être sortis de l’auberge...

On imagine la loufoquerie de la situation et effectivement on s’amuse beaucoup, tout comme Gary Cooper qui semble avoir pris un plaisir fou à se ridiculiser par la seule force de sa démarche; de ses mimiques et de ses expressions. Il faut avoir vu ce grand dadais naïf s’essuyer la bouche d’un grand revers de main avant de se jeter sur les lèvres de Loretta Young, se prendre la tête dans les sommets de portes, dégainer son revolver avec une maladresse jubilatoire, commencer à chanter une chanson au 180 couplets au grand désespoir de son compère qui, lui, ne brille pas par son intelligence (grand numéro également de William Demarest, l’un des acteurs de prédilection du grand Preston Sturges)… On lui savait un talent de clown de par ses innombrables prestations précédentes, y compris dans le western, mais on ne s’attendait certes pas à ce genre de personnage drôle et benêt ; la surprise est bougrement plaisante et le couple qu’il forme avec Loretta Young se révèle à la fois pittoresque et convainquant. Hormis les deux amis "cow-boys", étonnement, tous les personnages qui gravitent autour sont joués avec un grand sérieux ce qui empêche le film de sombrer dans une trop grande lourdeur et aux spectateurs de le suivre sans se lasser. Loretta Young est séduisante, parfois assez touchante (lorsqu’elle se rend compte que son amoureux de jeunesse ne lui plaît plus), possède des yeux superbes (on comprend que Gary Cooper tombe sous le charme dès la première seconde), s’en sort remarquablement bien et il est assez jouissif de la voir se servir d’une carabine ; quant à Dan Duryea, il interprète le premier d’une interminable galerie de "bad guys" menaçant comme s’il s’agissait d’un film très sérieux. Le contraste est assez étonnant, et le duel final en devient tendu et plein de suspense alors qu’on aurait pensé le voir se transformer en ultime bouffonnerie.

Alors certes, le rythme est parfois languissant surtout en sa partie centrale, l’histoire ne s’avère pas franchement originale et l'intérêt retombe à quelques reprises, les transparences lors des scènes à cheval sont parmi les plus ratées jamais vues au cinéma (mais finalement elles  participent involontairement au climat décontracté du film), mais l’ensemble est fichtrement agréable d’autant que les dialogues ne manquent pas de piquant. Et puis comment ne pas trouver sympathique un film qui dans son final fait voir Gary Cooper entonner la chanson "I’m a poor lonesome cow-boy..." rendue par la suite célèbre par la bande dessinée de Morris et Goscinny ? En y pensant, il y a effectivement un peu de Lucky Luke dans ce western humoristique du très bon réalisateur de série B que va devenir Stuart Heisler. Le sens de la mise en scène de ce dernier est d’ailleurs déjà visible dès la séquence initiale de l’attaque de la diligence, très bien rythmée et montée. Il fera preuve à d’autres occasions en cours de film d’une belle efficacité pour les scènes d’action nocturnes. Gary Cooper, Loretta Young, Nunnally Johnson, Stuart Heisler, un quarté gagnant à défaut d'être mémorable ! Quand les stars du western s'amusent de l'image stéréotypée qu'on leur donne, le spectateur en redemande.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 septembre 2010